Le choix et le doute : faire face au chaos informationnel

Alors que se multiplient les initiatives et propositions pour lutter contre les fausses informations, l’infobésité et autres difficultés face à l’information (définie comme un fait transmis après avoir été mis en forme – texte, vidéo etc…). Il est nécessaire de s’interroger sur la posture personnelle que chacun de nous doit développer pour faire face à ce monde d’informations qui semble si chaotique. En effet, très souvent ces propositions mettent en avant des « techniques » à mettre en oeuvre : comment vérifier une source, comment vérifier une image, comment décrypter le vrai du faux en s’appuyant sur une analyse des faits présentés, etc… Ce qui est le plus souvent laissé de côté c’est la partie psychologique, cognitive, c’est à dire la posture que chacun doit essayer de construire pour faire face non seulement à ces informations, mais surtout pour se défaire de ses propres biais psychiques et cognitifs qui font de l’humain un être fragile face au monde qui l’entoure. Il nous est arrivé précédemment d’évoquer la question du « point de vue » ou pour le dire autrement « d’où nous situons-nous ». Lorsque je m’exprime, ma parole est originée et contextualisée : j’ai eu une éducation, j’ai une culture, etc….

Parmi les nouveautés au sein du chaos informationnel, se trouvent les « commentaires » que l’on peut lire soit à la suite d’un article, d’une vidéo soit simplement à la suite d’un écrit court sur un réseau social. Souvent courts (et contraints d’y être parfois), peu argumentés, ils sont le reflet de notre monde d’adultes qui prétendent « éduquer ». On retrouve d’ailleurs des enseignants, aussi. Ces propos sont aussi de plus en plus violents. Or cette violence verbale est un danger pour nos sociétés et incite à la montée des dictatures (qui souvent utilisent d’autres violences). Le chaos informationnel est la première raison d’une difficulté à dépasser justement les propositions « techniques » ou parfois « solutionnistes » (il n’y a qu’à interdire ou bloquer, comme en Iran). Nos enfants, nos élèves, les jeunes connaissent aussi cette violence verbale au quotidien. Sauf que le sens des mots n’est, le plus souvent, pas le même que pour les adultes. Les invectives de cour de récréation ont au départ une valeur bien différente. C’est ensuite, à l’exemple des adultes, que les mots prennent sens… et souvent mauvais sens quand ce n’est pas sens interdit. Toutefois ne fustigeons pas trop vite la jeunesse, car le monde des adultes n’est pas vraiment idéal… mais trop souvent idéalisé.

Les deux principes qui pourraient aider à l’éducation à l’information et à la communication (tous médias confondus) et qui seraient à la base d’un changement de posture, sont le doute et le choix. Notre époque, portée par les moyens numériques, a amplifié la circulation de l’information et des savoirs, les phénomènes de manipulation de l’information et surtout, a mis en évidence nos fragilités humaines. Car nous allons tous en premier lieu vers ce qui nous ressemble, ce qui nous conforte, ce qui nous rassure (voir la liste des biais établis par M. Moukheiber – Votre Cerveau vous joue des tours, Allary Éditions 2019) . À force d’être entre soi, on finit par croire que le monde est comme soi ! Nos élèves, nos enfants, la jeunesse, dès le plus jeune âge entrent dans ce monde qui sans être totalement nouveau est pourtant bien différent de celui que la génération des années 50 – 90 a vécu, a connu. L’histoire, comme l’a si bien montré Patrick Boucheron, peut pour nous aujourd’hui et aussi demain. C’est d’abord l’histoire des humains et de leurs techniques, celles qui ont permis la tentative de prise de contrôle de l’environnement, en le transformant pour nous le rendre, croyait-on plus favorable. Il est toujours possible de faire l’autruche et de ne pas vouloir savoir et voir et d’ailleurs les récentes évolutions des opinions occidentales semblent indiquer que cela se généralise. Pour le dire autrement, nous recherchons des certitudes rassurantes, évitons de faire des choix, car nous ne voulons pas les voir. Face au doute et surtout aux savoirs divergents, on peut être tenté par un repli sur soi et sur ses propres certitudes.

Au moment où l’on parle de développer chez les élèves une citoyenneté et un esprit critique dans un monde numérique, on s’aperçoit que c’est de plus en plus incertain et compliqué, voire complexe. Or le fondement même de l’esprit critique, c’est le doute. Mais pas n’importe quel doute. C’est d’abord le questionnement a priori de toute information (comprise comme un fait rapporté et transmis). À la différence des faits, pour lesquels nous sommes parfois nous-mêmes défaillants dans leur perception, les informations sont déjà des transformations qui parfois, surtout lorsqu’elles sont médiatisées, s’avèrent peu fiables. Les enquêteurs connaissent bien les variations des témoignages sur les faits qui se produisent. Non seulement c’est une question de point de vue (se situer par rapport à la scène des faits), mais parfois, plus simplement des erreurs perceptives et mémorielles de ce qui s’est passé, surtout quand des émotions viennent s’ajouter aux faits. Douter est ainsi à la base d’une posture qui amène l’élève à chercher des variations dans les savoirs, des sources multiples pour mesurer l’étendue du champ mais aussi pour percevoir les différents termes de la question posée. En amont de cette activité, l’attitude initiale est de prendre du recul par rapport à tout fait, toute information et d’engager une démarche systémique de recherche de liens entre le fait, l’information et le contexte.

Une fois la démarche engagée, la construction d’une connaissance passe par l’aptitude à reconnaître un savoir « acceptable » et à l’étayer, l’argumenter, le prouver. Ce savoir est bien sûr temporaire, au risque de la contestation scientifique, mais au moins il permet d’agir. Car un certain niveau de certitude est nécessaire pour engager une action. C’est donc ce niveau que l’on va travailler avec les élèves. C’est normalement ce travail qui, basé sur des choix, va permettre de construire une « trace structurée » et utilisable de manière suffisamment durable pour avancer. Éviter tout blocage dans le raisonnement est essentiel. Puis se développe la capacité à faire des choix. Dans une posture comme celle que nous proposons, faire des choix s’effectue à de nombreux niveaux qui se superposent et interagissent entre eux. Les choix sont souvent extérieurs pour commencer : quel équipement, matériel, logiciel, technique pour avancer dans la vie. Petit à petit, les choix deviennent plus intérieurs, en particulier quand il s’agit des connaissances mais aussi des convictions, voire des croyances. Faire des choix, c’est d’abord un engagement dans une ou plusieurs voies. Cet engagement doit pouvoir être fait en toute responsabilité et connaissance de cause. Dans la relation à l’information, lorsqu’on la consulte, l’analyse et l’intériorise, cette responsabilité est engagée dans la rigueur du travail initial. Dans un deuxième temps le fait de choisir va donc permettre de construire, d’agir en sortant au moins temporairement du doute.

Face aux écrans (au sens large) cette démarche du doute et du choix est essentielle pour permettre une réception et une appropriation, allant parfois jusqu’à une « incorporation » en matière de connaissances. Le problème auquel chacun de nous est confronté, c’est le risque de se faire « déborder » par l’information et ses canaux de diffusion. Il y a un risque d’envahissement du psychisme, une charge mentale ou même une saturation mentale qui peut amener à renoncer à douter et faire des choix. Pire encore cela peut amener à un repli culturel et social. Il semble que nous soyons dans une période qui favorise ce genre d’attitude et qui se traduit dans les choix politiques des humains : abstention, repli… identitaire, etc…. Le numérique et le web en particulier ont ouvert une brèche dans nos cerveaux : nous commençons juste à nous en apercevoir. Cette brèche est c’est celle du chaos informationnel à laquelle nous n’étions pas habitués. Nous sommes passés en moins d’un siècle de notre quartier et de notre village à la planète tout entière à portée de main et surtout au coeur du chaos informationnel. Notre cerveau, aussi plastique est-il, ne s’est pas encore adapté, mais il faut dire que la fluidité informationnelle est telle que lorsque l’on pense en avoir cerné une partie, l’autre nous fuit. Revenir en arrière, c’est ce qu’expriment certains (une enseignante l’appelait de ses voeux encore récemment au cours d’une formation consacrée aux usages du numérique en classe), même si l’idée est séduisante, elle ne permet pas d’ouvrir un « nouveau chemin » pour l’avenir. Aidons les jeunes à le trouver !!!

A suivre et à débattre
BD

PS : on peut lire cet article avec intérêt : Jacques Barou, « DE LA MÉTHODE CRITIQUE AU DOUTE COMPULSIF, Érès | « L’école des parents »2021/1 n° 638 | pages 60 à 62

Faut il imposer des compétences numériques aux élèves ?

Au travers de référentiels comme PIX, un ensemble de compétences est désigné par des groupes de spécialistes comme essentielles pour agir en « citoyens éclairés ». Outre que cette intention est discutable au vu des différentes compétences proposées, il y a une particularité qui est peu prise en compte. Quelles sont, aujourd’hui les compétences, les habiletés requises par les enseignants pour que les élèves puissent réussir dans leurs apprentissages et leurs parcours scolaires. De manière explicite ou implicite, les enseignants invitent et imposent à leurs élèves des usages des moyens numériques pour réaliser les tâches scolaires demandées. De manière parfois inconsciente, ils posent un cadre culturel qui nécessite, sans que cela soit dit, que les élèves aient bien les éléments de maîtrise des moyens et dispositifs numériques, et du cadre culturel au sein duquel ils se développent. La culture de l’élève a longtemps été marquée par le livre et l’écrit après l’avoir été par l’oral. Désormais elle est aussi marquée par les moyens et dispositifs numériques auxquels chacun peut accéder, indépendamment du système scolaire.

Qu’elle le veuille ou non, l’école s’adapte à son environnement social et culturel. Elle s’est construite en relation avec celui-ci. La place prise par le livre et l’écrit à partir du début du 19è siècle a été fondatrice de la forme scolaire actuelle. À cet « objet technique », il a fallu que l’on construise un dispositif qui permet de répondre à des besoins et des attentes guidées par le politique et plus généralement par la société telle qu’elle est. Si l’on reprend les propos sur l’image, la radio, le film, la télévision, et maintenant le « numérique », on s’aperçoit que de la défiance à l’idolâtrie, les propos tenus depuis près d’un siècle n’ont pas entamé réellement une forme fondée sur la prééminence de l’écrit et du livre. Les compétences langagières attendues des élèves ont donc été au cœur de l’enseignement, en particulier celui des premières années. Le développement, dans la suite de la philosophie des lumières, de l’idée de rationalité scientifique a mis en avant l’importance des compétences mathématiques et scientifiques. Nous voici donc avec les fameux fondamentaux qui, aujourd’hui encore, pèsent lourdement sur les choix politiques faits en direction de l’école et des jeunes.

Rappelons ici que les catégories socio-professionnelles les plus aisées repèrent, pour la plupart de leurs membres, les codes qu’il est nécessaire d’adopter, pour parvenir à se maintenir dans leurs catégories ainsi que leurs enfants. Certes il y a des déclassements et aussi des ascenseurs sociaux, mais, à regarder de près, ils n’ont pas pris le pas sur une société dans laquelle les inégalités de classes perdurent et pour lesquelles l’école, malgré les intentions, semble ne pas parvenir à contribuer à les résorber significativement. Un discours convenu, venu de tous les horizons idéologiques, utilise régulièrement cette rhétorique sans pour autant parvenir à modifier les choses. Ces fameux codes, souvent difficiles à définir, à expliciter, sont constamment en action dans les différentes évolutions du système éducatif.

Les enquêtes menées dans la population de France (mais aussi de Belgique par exemple) mettent en évidence de nombreuses fragilités face aux exigences d’une société qui se numérise. L’idée de fracture, à laquelle nous référons celle de vulnérabilité, fait florès… et sert d’argument mais mérite une attention particulière, car près de la moitié de la population ressent des difficultés face aux objets numériques. Ainsi, les compétences nécessaires pour vivre dans une telle société peuvent sembler évidentes au vu des nombreux référentiels existants (dont le PIX). Mais il faut rappeler ici qu’une compétence ne se mesure que dans des situations et des contextes spécifiques et que leur maîtrise dans une situation ne peut préjuger de leur transfert dans d’autres situations ou dans le temps. Toutefois le système scolaire est très souvent considéré comme le moyen d’implanter des comportements et des compétences pour toute la vie, ce que l’on retrouve dans toutes les « éducation à » (cf les parcours) mises en place dans les textes et parfois aussi dans les classes.

Il faut toutefois rester prudent face aux compétences numériques des jeunes et leur pérennisation possible. Si dès sa mise en place il a été souhaité que tous les enseignants prennent en charge le développement et la certification des compétences du B2i, c’est justement parce que ses concepteurs ont perçu qu’il y avait beaucoup d’explicite mais qu’il y avait aussi de l’implicite. Or cet implicite est lié aux pratiques spécifiques des didactiques des disciplines. Trop souvent on réduit, par exemple, les compétences numériques nécessaires à l’enseignant de lettres aux logiciels d’écriture et éventuellement aux outils de lecture (même si le livre reste dominant). Pourtant dans les faits, l’enseignant sait bien qu’écrire et lire s’effectue dans des contextes variés de la vie quotidienne de l’élève et qu’il est contraint, dans la salle de classe de limiter les pratiques non prévues dans le monde scolaire à des activités liées aux attentes de l’école. C’est pourquoi beaucoup d’enseignants ne se sont pas impliqués dans le B2i et sa mise en oeuvre. A cela, il faut ajouter cette remarque faite par certains jeunes face aux demandes numériques de leurs enseignants qui s’estiment saturés ou qui se sentent en difficulté face à des exigences numériques.

Les attentes des enseignants vis-à-vis des élèves dans le domaine numérique sont très variées, très inégales en termes de difficulté. Aussi l’élève est amené à s’adapter en intégrant ces attentes numériques dans leur « métier d’élève ». Certes, il y a plusieurs compétences techniques identifiées et explicitées par les enseignants, mais il y a des compétences d’usage qui ne sont pas que techniques. Ainsi il peut paraître évident qu’un élèves sache « naviguer » au sein de sites web, mais très souvent ils ont du mal à garder le fil de leur travail car ils ne maîtrisent pas les codes cognitivo-techniques des pages qu’ils consultent (contenu hors champ visuel/écran, boutons cliquables ou non, sens des consignes données sur l’écran, etc…). En suggérant à ses élèves de faire une recherche internet puis d’en faire la synthèse dans un document texte accompagné d’une petite présentation vidéo ou non – bref, faire un exposé – l’enseignant met l’élève dans une situation complexe et ses attentes peuvent être multiples et pas forcément clairement présentées. L’élève va donc se construire une représentation des attentes de son enseignant et tenter de rassembler ses compétences (celles qu’il maîtrise) pour y répondre. Derrière des demandes qui peuvent être considérées comme techniquement simples, se trouve une forme de complexité qui articule fonctionnement cognitif et fonctionnement technique. Parfois à ces domaines de l’activité humaine s’ajoutent le relationnel et ses codes culturels ou l’économie et le marché et ses propres codes inclus dans le monde du web.

Le monde éducatif pourrait profiter d’une meilleure connaissance des pratiques quotidiennes des jeunes pour mieux leur proposer d’agir dans le domaine numérique. L’analyse de quelques échanges avec des jeunes en marge de l’école révèle qu’ils développent des pratiques essentiellement « utilitaires ». Comment m’en sortir au quotidien, c’est chercher les moyens (et souvent numérique) de répondre à mes besoins. Loin des attentes scolaires, a priori, ces pratiques utilitaires sont particulièrement intéressantes à décrypter, car elles mettent en évidence ce que nous nommons des « habiletés ». Contextualisées, ces habiletés sont souvent limitées aux besoins à court terme, mais sont particulièrement efficaces quand le jeune est « dans la débrouille ». L’écart entre ces habiletés et les attentes du monde académique est souvent important. Elles sont parfois conflictuelles. L’enseignant déplore le peu de compétences de l’élève. L’élève déplore le manque d’intérêt des pratiques numériques dans la classe. Du coup il y a une forme d’affrontement dans ce domaine qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe pour la maîtrise de l’oral et de l’écrit. Nous reproduisons inconsciemment les inégalités dans le champ numérique comme nous les avons maintenues dans le champ du livre et de l’écrit. Cette forme de discrimination sociale et cognitive est en partie à la base des inégalités sociales et de la « reproduction » que Pierre Bourdieu a essayé de nous faire percevoir jadis dans ses travaux sociologiques.

 

Elle voit des écrans partout ! Paradoxe de la radio nationale

Après avoir présenté ce matin un roman intéressant et surtout l’interview de son auteur à 7h49, l’invité de Léa Salamé sur France Inter, Nathan Devers auteur du livre « Les liens artificiels » (Albin Michel 08/2022), cet après midi, le sujet de l’émission « zoom zoom zen » semble aussi intéressant : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-mardi-20-septembre-2022-7524483 consacre à « l’enfermement mental ». Outre qu’il limite cette pathologie à la seule question des écrans et des réseaux sociaux, cette émission semble particulièrement « légère » dans le ton tout au moins. Invitant « Sabine Duflo, psychologue clinicienne », nous avons été très étonnés des analyses radicales de cette dame, voire de sa virulence eu égard à ce que d’autres chercheurs et spécialistes disent de cette question restreinte des « zécrans » et des « zaddictions ». Sans jamais définir clairement l’un et l’autre, le propos est surtout trop à l’emporte-pièce, sans nuances et sans vraiment d’analyse (hormis la citation de chiffres de l’enquête de l’UNAF de 2021), mais avec beaucoup de prescriptions. Mais ce qui surprend en particulier c’est que la solution proposée est très ambivalente : d’une part, pour cette personne, il faut une loi pour interdire et limiter (pas d’achat de smartphone connecté avant 15 ans par exemple) et en même temps il faut que les adolescents s’autonomisent de leurs parents et plus largement des adultes.

Ne nous égarons pas dans une analyse critique de l’émission de cet après-midi, chacun pourra se faire une idée. L’interview L’interview faite le matin (https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-7-9-30/le-7-9-30-du-mardi-20-septembre-2022-9036214)est située à partir de 48m46s de l’émission du matin et se termine à 57m50s. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est de réécouter le lancement fait pas Léa Salamé à propos de ce livre et d’entendre la réponse de l’auteur, et d’aller ensuite au bout de l’interview de celui-ci. Car nous avons affaire là à un jeune homme de 24 ans (https://fr.wikipedia.org/wiki/Nathan_Devers) dont la qualité d’expression et d’analyse mérite d’être mise en balance avec l’autre émission de l’après midi et les propos de l’invité. Il ne s’agit pas de les confronter, quoique, mais d’essayer d’étudier aussi bien les formes de l’expression que le fond même des propos. Entre l’assurance parfois péremptoire d’une psychologue confrontée dans son quotidien à des jeunes en urgence psychiatrique et une certaine forme d’humilité et de mesure (on dirait ici encore sobriété) on ne peut qu’essayer de se forger son opinion. En préférant l’humilité de l’expérience à la forme oratoire injonctive, nous voulons faire passer une remarque de fond : les médias semblent se complaire d’un discours anti-écran (et parfois allant vers de l’anti-jeune), l’entrée en matière de Léa Salamé en est une belle illustration, fort bien modérée par son interlocuteur.

Pour illustrer cela, quelques citations extraites de cette interview. En expliquant rapidement le « métavers » et en réponse à une question sur ses dangers il déclare : « il faut défendre le réel ». Il déclare essayer de nous faire sentir le vertige de la « virtualisation du réel ». Il se situe comme voulant faire face à la « déshumanisation liée à la découverte d’une double vie qui serait virtuelle ». Ce romancier explique que le métavers est aussi en continuité de l’illusion personnelle d’un autre monde que chacun de nous se construit pour se mettre à distance du réel. Il réclame en quelque sorte « le droit à l’incarnation », mais aussi la possibilité « d’ajouter au réel ». Il termine en parlant de « réconcilier les livres et les écrans ». Enfin, un propos qui invite à réfléchir plutôt qu’à simplifier.

On pourra faire l’exercice suivant : extraire les questions posées par Léa Salamé et s’interroger sur ses intentions d’intervieweuse. En effet, comme de nombreux journalistes, elle a un parti pris au démarrage de son entretien et elle essaie de le faire vivre au fil des questions. Sans compter la mise en avant du fait que ce roman est sélectionné dans de nombreux prix littéraires de la rentrée, ce qui, avec l’âge de l’auteur (dont on ne cite pas les trois autres livres qu’il a écrit) est suffisamment « visible » pour susciter l’intérêt du média…
On pourra aussi s’intéresser au profil de l’auteur, la notice Wikipédia est particulièrement « éloquente », on peut chacun en juger. Ainsi que du pseudonyme utilisé qui lui permet de se mettre à distance de ce qui l’a fait, au moins en partie…

A lire… dans les temps prochains
BD

Recherche sur une formation hybride de 1989 à 1992

Voici un document que j’ai retrouvé et qui pourrait intéresser certains :

UNAPEC formation transactionelle et multimedia

A suivre et à débattre

 

Intimité et extimité sur le web : les adultes particulièrement concernés ?

Pourquoi, en ligne, on parle de soi, on met en ligne son quotidien principalement sur les réseaux numériques ? La mise en scène de soi est désormais courante sur les réseaux sociaux numériques. Entre ma dernière production culinaire, ma dernière randonnée ou encore mon dernier « coup de cœur », montrer une part de soi n’est pas seulement une affaire de jeunes ou d’enfant. C’est aussi désormais une affaire d’adultes. Je ne parle pas ici de ces personnes qui développent leur communication en ligne pour tenter d’influencer leurs congénères, mais plutôt de ces personnes, proches de nous parfois, qui parlent d’elles… en ligne de manière à être vues ou lues et parfois d’obtenir des retours d’autres personnes.

Un des fondements psychologique de plusieurs phénomènes relationnels est celui qui consiste « parler de soi », en public de préférence, soit en présence soit sur des espaces numériques de partage. Lorsqu’une connaissance, un ami nous interpelle sur tel ou tel sujet, il ne faut pas longtemps pour que nous passions au « JE » c’est à dire que la personne à laquelle on s’adresse va parler très rapidement d’elle. Alors que je raconte un évènement récent à un collègue, au bout de quelques instants, il me parle de lui et de ce qu’il connaît ou encore plus a vécu à propos ou proche de cet évènement. Cette observation montre combien nous avons besoin de parler de soi, même quand les autres me parlent d’eux. Sur les réseaux numériques, dits sociaux, ce phénomène a pris une ampleur qui parfois peut être déstabilisante. Ainsi ce militant pédagogique qui, arrivant à l’heure de la retraite, expose ses états d’âmes, ses manières de faire (et parfois celle de ses proches) rentre-t-il dans cette forme d’expression qui interroge : pourquoi a-t-il (elle) besoin de raconter cela alors que cela ne concerne que lui (ou elle) ?

Chacun de nous a ce qu’on nomme un EGO. La satisfaction de cet EGO repose en grande partie sur les autres et ce qu’ils renvoient comme écho. Toutefois chacun de nous a plus ou moins besoin de ce retour, on parle de degré de mégalomanie dans les cas les plus importants. Avant les réseaux numériques et leur accessibilité par tous, la vie de l’EGO passait soit par la proximité de l’entourage soit par les reconnaissances externes institutionnelles (les diplômes), professionnelles (les postes de travail), politiques (mandat d’élu), médiatiques (je passe à la télé, on parle de moi dans le journal, je parle à la radio). En vivant ces expériences de vie, antérieurement à Internet (et plutôt avant 1995), on pouvait ainsi se repérer et stabiliser son EGO, ou le développer. Si Jean Paul Sartre écrivait que « l’enfer c’est les autres », un commentateur (Sébastien Blanc, le Point 2017) l’explique ainsi : « L’enfer ne relève pas de la torture physique, mais du fait de ne jamais pouvoir s’extraire du jugement d’autrui. » Cette analyse vient conforter notre approche, mais en inversant la proposition : si l’enfer, c’est le jugement d’autrui, le ciel serait-il de le solliciter ? Le fameux MOI freudien est bien cette construction individuelle, en partie un processus d’individuation, qui s’effectue en se basant sur la relation à l’autre.

Serge Tisseron définit ainsi l’extimité : « le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l’intimité. ». IL précise cela dans un article de 2011 (https://www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-83.htm) intitulé : « Intimité et extimité » (Serge Tisseron, Communications 2011/1 (n° 88), pages 83 à 91) et écrit « la constitution d’Internet comme axe d’injonction à la visibilité en tant que critère ontologique fondamental pour l’existence du sujet »; Ce concept d’extimité, forgé par Jacques Lacan renvoie a celui d’intimité, il lui serait antérieur, et à celui d’estime de soi. Ce dernier concept est d’autant plus intéressant qu’il a fait l’objet de travaux dont l’Echelle d’estime de soi de Rosenberg est une illustration pertinente (chacun pourra la tester là : https://cache.media.education.gouv.fr/file/Education-sante-citoyennete/26/0/31_echelle_d_estime_de_soi_de_rosenberg_863260.pdf). Le lien avec l’extimité devient plus évident et surtout le Web procure désormais et depuis le début des années 2000 une illustration constante de ce besoin d’estime de soi qui se traduit par des manières de se montrer en public.

Au début des blogs (l’exemple des skyblogs en est la concrétisation) on s’est alarmé et le terme extimité apparaît dès 2001. Dans son article de 2011 S Tisseron parle en particulier des adolescents mais ne limite pas ce phénomène à eux seuls. Toutefois au début des années 2000, l’appropriation d’Internet est encore plutôt le fait des jeunes et des découvreurs que de la majorité de la population. À partir de 2008 et l’apparition des smartphones, les adultes découvrent pour la plupart d’entre eux cet espace d’expression qui peut devenir un espace d’expression de soi. Smartphone plus Réseaux Sociaux Numériques (RSN) un cocktail efficace qui « facilite » l’expression de soi. L’article de S Tisseron évoqué plus haut mérite une lecture « complète », même si la fin de cet article ainsi que certains passages mériteraient d’être approfondi.

Si nous revenons à notre questionnement initial, nous pouvons penser que l’extimité en ligne a désormais gagné le monde adulte. C’est en particulier via les RSN que l’on peut le mesurer. Que ce soit Narcisse et plus encore le mégalomane, l’usage du Web est aujourd’hui banalisé. Je me montre pour être reconnu (empathie, estime de soi), mais aussi je me cache (anonymat) mais pouvoir exister (harcèlement, propos violents). Toutefois il y a une alternative empruntée par certains : ne pas parler de soi, mais partager ses idées ou ses analyses. On trouve cela dans la démarche du scientifique qui publie les résultats de son travail, mais la dérive est celle de la popularité,(le ranking) qui peut aussi être une autre forme de construction de l’estime de soi : mon travail est cité, je suis reconnu. Entre parler de soi et de son quotidien, partager son travail de recherche, ou proposer ses idées ses analyses, il y a des proximités. Mais c’est l’extimité des propos qui est au coeur de notre critique, désormais de plus en plus activée par les adultes et les éducateurs… Où est la limite ?

A suivre et à débattre
BD

Une disparition dans l’édition de « Repères et références statistiques 2022 », un signe ?

Dans les éditions 2019 et 2020 de cette publication de la DEPP (https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references-statistiques-2022-326939)  on trouve ce paragraphe : « 2.10. Les technologies de l’information et de la communication dans les écoles et les établissements publics ». En 2021 ces données disparaissent au profit des ensembles immobiliers (« 2.10 Les ensembles immobiliers du second degré public ») et en 2022 elles sont remplacées par cet intitulé : « 2.10 Les ensembles immobiliers du second degré public et l’équipement numérique »

Que peut-on en penser ? Plusieurs hypothèses : la première est le « désintérêt » pour les questions du numérique éducatif au fil du temps; la deuxième est que désormais l’on considère cela comme acquis et que c’est devenu trop banal pour en faire un relevé; la troisième c’est la difficulté à mener à bien ce genre de statistiques, tant les différentes enquêtes menées précédemment (Profetic, ou ETIC) sont imparfaites; la quatrième peut être plus politique et entérine surtout l’informatique au lycée (en seconde et enseignement de spécialité…) et annonce un reflux d’intérêt du ministère. Ce qui est étonnant, c’est le lien avec l’immobilier qui est fait dans l’intitulé et qui est présenté en 2022 sans explication de manière juxtaposée.
Pourtant, on trouve une enquête menée par le ministère : « L’enquête MicroTic2D collecte des informations sur l’équipement en technologies de l’information et de la communication à des fins pédagogiques dans les collèges et lycées publics. » (https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/enquete-microtic2d/). Cette enquête est actualisée au 8 juin 2022. Même si les données sont à relativiser, comme l’indique le descriptif, on s’étonne de ne pas les voir réellement utilisées. De plus, les données sont très imprécises, il faudrait croiser ce fichier avec celui précisant des éléments chiffrés supplémentaires : nombre précis d’élèves, nombre de salles de classe, etc… Du coup on peut imaginer que l’absence de données dans l’annuaire est le reflet de ces approximations.

Comment piloter le numérique éducatif sans indicateurs précis ? On aurait pu imaginer que les collectivités disposaient de tels renseignements. Mais, là non plus rien de précis n’est disponible. Or la banque des territoires avec la Caisse des Dépôts et Consignation a (avait ?) élaboré un site appelé eCarto qui était censé aider à y voir clair : « eCarto permet de visualiser le déploiement du numérique éducatif dans chacun des 63 000 établissements scolaires, en rassemblant les données open data sur la connectivité, l’équipement, les ressources et les expérimentations. » (https://www.banquedesterritoires.fr/ecarto). Or ce site semble « mort » depuis 2019. Outre une ergonomie très peu engageante, impossible de trouver des données récentes (2022…) et surtout de comprendre à quoi sert ce site. Encore de l’argent dépensé a rien, même l’enquête MicroTic2D n’est pas référencée…

Comment connaître réellement ce qui se passe sur le terrain quand les données ne sont ni collectées ni remontées ? Cette déliquescence progressive pour ce qui concerne le numérique éducatif et en particulier pédagogique est probablement le signe d’un tournant que l’on peut interpréter aussi au travers des propositions de la DNE : Charte du 9 juillet 2022, stratégie annoncée mais pas explicitée (première étape du 1er juillet dont on attend la suite), etc… le site Acteurs Publics en a récemment parlé mais est aussi curieux de ce que cela va devenir. Un article du 25 aout 2022 propose ainsi cette analyse : « Régulièrement critiqué par la Cour des comptes, le numérique éducatif s’apprête à prendre un nouveau virage ». La lecture de cet article ainsi que des documents actuellement disponibles autour de cette stratégie (on attendait des détails pour le 12 aout, mais il y a du retard) met en évidence une centration sur les Systèmes d’Information de l’ensemble du système que sur les usages pédagogiques (on veut laisser l’initiative aux enseignants…). Bref là encore une difficulté à y voir clair.

Un an après avoir été nommé le Directeur du Numérique Educatif reste très en retrait. Le départ du conseiller numérique du ministre de l’Éducation, Cyril Colléate et son non-remplacement est un autre indicateur d’une évolution de stratégie. Dans son discours de rentrée, (https://www.education.gouv.fr/annee-scolaire-2022-2023-construisons-ensemble-une-ecole-engagee-342475) le ministre reste aussi très en retrait. S’il signale « Une charte pour l’éducation à la culture et à la citoyenneté numériques à destination de l’ensemble des personnels d’éducation s’applique à tous les temps de l’enfant » dont la formulation est étonnante (personnels d’un côté, temps de l’enfant de l’autre !!!), on semble rappeler ce qui avait émergé en 2000 avec le B2i dans cette proposition : « Les compétences numériques sont mobilisées et développées dans tous les enseignements au cours de la scolarité. ». A cela s’ajoute le PIX et la spécialité numérique en lycée… bref pas vraiment un projet ni une stratégie… Attendons de voir dans les temps prochain. Qu’en sera-t-il du projet TNE (Territoires Numériques Éducatifs) ? Sur le terrain, dans les territoires, on s’active, mais en haut lieu, depuis octobre 2021 on n’entend peu parler de ce projet.

A suivre et à débattre…
BD

Du mythe de l’autodidacte à celui de la méritocratie dans les médias ! et l’école alors ?

Il arrive parfois que les médias traditionnels ne soient pas suffisamment vigilants à propos de la qualité de leurs publication. Les médias de flux relaient désormais leurs titres sur les réseaux de toute nature, sociaux en particulier ainsi que par les notifications personnalisées. Dès lors les titres de ces notifications se doivent d’accrocher le lecteur, d’appâter sa curiosité. Le revers de cette pratique est que ces titres sont parfois à relativiser, à vérifier ou même faux. Quant aux articles qui les sous-tendent, ils ont parfois le même travers. Le lecteur est donc soumis à ces notifications qui parfois lui suffisent à « penser » et qui peuvent le dérouter, voire l’amener à propager des fausses nouvelles, s’il ne va pas chercher à approfondir. Apprendre aux jeunes à décrypter n’est pas simple et éviter ce genre de souci suppose que les adultes eux-mêmes repèrent ces faits et sachent les analyser, tant les limites sont ténues. Éduquer aux médias et à l’information n’est pas qu’une question de « référentiels de compétences », mais bien d’un ensemble de savoir-faire et de connaissances dont le cœur est souvent l’incertitude, l’aléa. Pour le dire autrement aucune action dans ce domaine ne peut se prévaloir d’efficacité garantie… Toutes ces pratiques devraient reposer une dynamique de veille et d’analyse qui se situe sur la durée, une sorte de suivi longitudinal.

Une illustration : quand Télérama change les titres de ses articles… (comme le Monde à propos des gardes d’enfants et des puéricultrices, il y a quelques semaines, durant cet été 2022).
Référence du document final de Télérama : https://www.telerama.fr/ecrans/sur-youtube-le-mythe-de-l-autodidacte-a-bon-dos-chez-les-videastes-stars-de-la-plateforme-internet-7011605.php,

Ce 2 aout 2022 au matin, je suis alerté par ce titre proposé par Télérama (notification automatique) : « Sur Youtube, le mythe de l’autodidacte a bon dos chez les vidéastes stars de la plateforme internet ». Plus tard dans la même journée je retrouve, à partir du lien de cette annonce le titre suivant : Sur YouTube, « le mythe de la méritocratie chez les vidéastes stars ». Le reste de l’article est inchangé. Mon étonnement se limite au titre, car pour l’article qui présente une vidéo sur le sujet, il n’y a rien de bien approfondi. Il faut donc alors regarder la vidéo elle-même proposée sur Youtube (https://youtu.be/ASB0o7PFQMU) sous le titre : « Faut-il être riche pour être YouTuber | Le culte vicieux de la méritocratie ». Cette vidéo est sponsorisée par Cyberghost une entreprise qui propose des VPN et qui s’intéresse à ces questions sur Youtube. D’ailleurs, le documentaire est particulièrement édifiant, nous allons aborder cela dans la deuxième partie de notre article.
Mais en premier lieu la question de la transformation des articles, des titres et de certains contenus dans des organes de presse réputés interroge. Quels filtres, quels contrôles, quelle investigation ?etc… Le Monde s’était piégé début juillet avec les « puéricultrices » dont la dénomination a rapidement disparu car totalement fausse et surtout mettant en évidence « l’incompétence » journalistique… de l’auteure de l’article (rapidement corrigée cependant, par les relecteurs internes on suppose). Une première lecture de l’article reprenait à plusieurs reprises cette erreur, assimiler tout le personnel des crèches à des puéricultrices alors qu’ils n’ont pas cette qualification (spécialité diplômée en une année après des études d’infirmière). Quelques temps après l’article mis en ligne avait changé et l’erreur avait disparue, chaque personnel retrouvant son exacte professionnalité, et l’article reprenant de sa consistance

L’autodidacte est-il une figure emblématique de la méritocratie ?

Télérama de son côté est pris sur le fait, mais simplement avec le remplacement, dans le titre, du terme d’autodidacte en méritocratie. Là où le problème peut se poser, c’est que ce premier lien renvoie sur une vidéo sponsorisée dont on peut s’interroger sur la pertinence et la finalité, nous allons y revenir. Plus largement il faut poser la question de l’École face à cette méritocratie et à l’audidaxie supposée du web et en particulier de Youtube. Le film proposé via Télérama est particulièrement intéressant, car il propose une relative acculturation au « vocabulaire » ambiant (le plus souvent emprunté au monde anglo-saxon) dans le monde des youtubeurs qui gagneraient de l’argent via leur chaîne vidéo. Plus encore ce film permet aussi de comprendre les mécanismes économiques et financiers sous-jacents et en particulier la manière dont Youtube « gère » les équilibres financiers lui permettant de fidéliser ainsi les auteurs de ces vidéos et plus encore les spectateurs qui sont la base des revenus publicitaires partagés générés au nombre de vidéo vues… On apprend ainsi une sorte de culture du profit individuel ce qui motive l’intitulé final de cet article : la méritocratie. Rien de nouveau sous le soleil, l’idéologie de la réussite individuelle est au cœur du libéralisme actuel, elle s’incarne ici dans un espace nouveau, celui des vidéos en ligne. Sorte d’arbre qui cache la forêt, la réussite de quelques-uns cache les nombreux échecs d’une multitude et là non plus ce n’est pas nouveau. Ce qui est inquiétant ici c’est que la popularité et la rentabilité individuelle l’emporte sur toute forme de pertinence des contenus proposés.

Sur un plan éducatif, le remplacement du mot autodidacte par celui de méritocratie est intéressant à analyser. Dans le prisme financier, le rêve de gains d’argent rapides est ce qui attire, un peu à la manière des trafiquants de toutes sortes. Pour un jeune, ce rêve est un moteur de motivation qui peut s’avérer très impliquant. C’est plus fondamentalement un moteur de l’action qui fait rêver les plus vulnérables à ce genre de mythe. Mais certains types de société encouragent cette approche qui promeut la réussite individuelle par « tous les moyens ». La méritocratie a deux versants : celui de la réussite individuelle, celui d’une société qui récompense les meilleurs. Mais elle cache sous des arguments individualistes l’analyse du fonctionnement des groupes humains et en particulier la question des inégalités réelles qui sont vécues au quotidien. Combien réussissent, combien échouent ? Car la méritocratie, c’est aussi ceux qui échouent.

L’image de l’autodidacte est, elle, à situer dans le contexte d’une transformation de l’accès à la réussite (scolaire, sociale). Sauf qu’en utilisant ce terme, l’auteur initial du titre de l’article a oublié la dimension cognitive. Puis pour le faire disparaître, il a remplacé le terme par l’idée de la réussite individuelle, quel qu’en soit le contenu, la forme, les méthodes. Rappelons ici que la figure de l’autodidacte est aussi à la base de l’utopie d’Internet (cf. Fred Turner). Dans un monde connecté, les savoirs peuvent circuler. Ceux qui ont accès à ces savoirs pourraient « librement » et « individuellement » se les approprier. Cette belle utopie qui rapproche le savoir de la connaissance est oublieuse du travail de transformation qui doit s’opérer pour effectuer ce passage. Même si l’enfant peut sembler très autodidacte dès son plus jeune âge, il ne faudrait pas ignorer l’importance des interactions humaines ou non, formelles ou non, qui permettent aussi à l’enfant de construire aussi bien les processus que les produits qui accompagnent son développement. À travers ses activités, l’enfant construit en même temps des méthodes et des savoirs. Ces méthodes sont celles qui rendront possible un niveau d’autodidaxie suffisamment performant. Si être en contact avec l’information ne suffit pas à faire la connaissance, il y participe aussi grandement, mais à certaines conditions…

Quant à l’école, on sait qu’elle a été établie contre le danger inégalitaire face au savoir. L’autodidacte n’a pas sa place à l’école, même si l’on vante de plus en plus l’autonomie de l’apprenant. La méritocratie est au coeur du système actuel, mais elle s’appuie davantage sur l’autre pouvoir éducatif, celui de la famille, celui de l’héritage. L’informatique appliquée à l’apprentissage, Internet et désormais l’intelligence artificielle tentent de réactualiser les formes de l’apprendre et de donner aux machines un autre pouvoir face aux apprentissages humains. Pris dans le jeu de la méritocratie, ils prolongent en même temps le mythe de l’autodidacte universel tout en s’intégrant au système scolaire traditionnel (on ne perd pas de vue l’intérêt que procure ce système pour les meilleurs…)

Au travers de ces « lapsus » journalistiques et indépendamment des règles professionnelles qui se sont appliqués (relecture, correction, modification) c’est d’abord la mise au jour, même chez des professionnels, des dérives informationnelles actuelles : aller vite, frapper fort, attirer le lecteur. À force de parler de fake news, on a oublié les trop nombreuses approximations et imprécisions si présentes même chez les professionnels de l’information. Ces mêmes remarquent s’appliquent encore davantage dans tant de contributions à chaud sur les réseaux sociaux ou dans les espaces d’expression publics qui permettent à chacun de faire valoir son « point de vue », même s’il n’est pas étayé de manière solide. Au final, c’est bien de cette éducation dont nous avons besoin, en particulier dans les espaces numériques. Celle-ci commence par apprendre à ne pas s’en tenir au titre ou à la notification, cela continue en lisant/consultant les ressources jusqu’au bout, ensuite cela passe par la recherche des sources et des preuves qui confirment ou infirment un propos. Enfin, il est parfois (mais rarement) intéressant de consulter d’autres commentaires qui peuvent amener à approfondir la lecture. Enfin, il est souhaitable d’apprendre à ne pas s’exprimer immédiatement et en se basant sur la réaction émotionnelle. Il est courant dans les relations humaines en face à face d’observer que l’on ne s’écoute pas vraiment, qu’on veut répondre vite et éventuellement passer sur le registre émotionnel, voire agressif.
Deux proverbes nous rappellent une forme de sagesse : « la parole est d’argent, mais le silence est d’or » et l’humoriste d’ajouter « ce n’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule »….

A suivre et à débattre
BD

Sobriété, drôle d’expression !!! Surtout quand on parle de numérique éducatif.

Rappelons tout de suite que le terme « sobriété » se rapporte d’abord à la boisson, et que par extension il se rapporte à la modération, à la tempérance !!! (https://www.cnrtl.fr/definition/sobri%C3%A9t%C3%A9) . On ne peut qu’être étonné de ce détournement de terme qui, pour ce qui touche au numérique, semble émerger au début des années 2000. Mais il faut consulter ce document de 2018 pour mieux comprendre de quoi il s’agit, même si l’on peut s’interroger sur les origines des auteurs de ces documents (dans leurs rapports au numérique) : la présentation d’abord https://theshiftproject.org/article/deployer-la-sobriete-numerique-rapport-shift/ puis le rapport complet
https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2020/10/Deployer-la-sobriete-numerique_Rapport-complet_ShiftProject.pdf. On pourra aussi lire la suite dans un deuxième rapport de 2020 : https://theshiftproject.org/article/deployer-la-sobriete-numerique-rapport-shift/. La généralisation de l’emploi du terme sobriété interroge sur l’effet de mode d’une part de l’emploi de ce terme mais aussi sur le fond de ce qu’exprime ce terme. Dans le résumé au décideurs du texte de 2018 on peut lire aisément une tension entre deux pôles : le développement économique et la pression écologique.

On peut lire d’abord ceci : « Le numérique étant reconnu comme un levier de développement économique et social, la transition numérique apparaît comme incontournable pour l’ensemble des pays et des entreprises, tandis que les objets et interfaces numériques irriguent peu à peu tous les aspects de la vie sociale. La transition numérique est aussi considérée comme un moyen de réduire la consommation d’énergie dans un grand nombre de secteurs (« IT for Green »), à tel point que l’on considère de plus en plus qu’il ne sera pas possible de maîtriser le changement climatique sans un recours massif au numérique. »
Un peu plus loin dans le texte cette définition attire notre attention : « Une transition numérique sobre consiste essentiellement à acheter les équipements les moins puissants possibles, à les changer le moins souvent possible, et à réduire les usages énergivores superflus. »

Le numérique serait-il comparable à l’alcoolisme ? Si l’on prend le terme dans son sens premier, la sobriété serait la réponse positive à cette question. Accoutumance, habitude, ou encore addiction seraient donc associées à ce terme de sobriété. Si l’on prend le terme dans le sens de modération, de tempérance, l’on retrouve ce lien avec la dimension plaisir et pas seulement dans la boisson. Plus généralement, l’idée de fond est donc d’utiliser ce terme pour indiquer que l’on n’est pas opposé au numérique, mais qu’on en connaît les limites, en particulier sur le plan écologique. Les utilisateurs de ce terme feraient bien de relire Jacques Ellul (le bluff technologique, Hachette, Pluriel 2004 – https://www.fayard.fr/pluriel/le-bluff-technologique-9782818502273) car sur le fond, il a depuis longtemps appelé à de la « modération ». Mais ce qui inquiète c’est aussi la banalisation du terme sobriété et son usage dans divers contextes qui ne sont pas en rapport avec la boisson, mais simplement avec les excès. Il me semble qu’il aurait fallu chercher un autre terme.

Il faut ajouter à cela la prise de conscience tardive des nuisances possibles du numérique dans nos sociétés. Si nous prenons simplement la question du renouvellement des machines et des logiciels, le vertige de ce rythme infernal de renouvellement (loi de Moore d’une part, système d’abonnement pour les smartphones d’autre part, à titre d’exemple) remonte au début des années 1970/1980 quand l’informatique s’est démocratisée, massifiée et est entrée avec le vent de la financiarisation du monde. La sobriété arrive bien tard. Employer ce terme, c’est aussi reconnaître que l’on a su intoxiquer la population et que maintenant on voudrait calmer le jeu, pris les mains dans le pot de confiture du progrès « quoi qu’il en coûte ». Depuis cinquante années, le monde éducatif a prôné ce développement sans presque jamais mettre en garde face à cette dérive. Maintenant que le climat fait des siennes, que la planète commence à signaler ses limites, chacun tente d’y aller de son couplet, sorte de discours de bonne conscience.

Ce discours semble aussi être celui de l’impuissance chronique face à des évolutions guidées par les systèmes économiques de développement humain. Rappelons ici que les temps soviétiques et les temps capitalistes sont bien sûrs sur le même rythme… car derrière il y a l’idée que la technique donne la puissance (les militaires en ont fait leur credo) mais aussi la richesse principalement des dirigeants. Attention, l’emploi du terme sobriété doit d’abord passer par la déconstruction de la notion, du concept. Il est donc nécessaire d’analyser, en amont, les raisons de cette réflexion : nous avons vécu une période fascinante depuis le début des années 1950 qui nous a amené à développer des modes de vie et les moyens qui vont avec, sans nous inquiéter des conséquences possibles. En 1973, lors du premier choc pétrolier, nous aurions eu toutes les raisons d’interroger ce « cheval fou dont nous avons perdu le pilotage », comme certains jeunes le déclaraient auprès de leurs éducateurs. Mais la modération de certains penseurs (Edgar Morin, Michel Serres parmi d’autres) à l’égard de ce mouvement incontrôlé était encore trop faible pour amener à une réelle prise de conscience. Mais prendre conscience, ce n’est pas agir. Appeler à la sobriété est davantage une affaire de morale et de moral qu’une affaire de transformation fondamentale.

Éthique, sobriété, écologie etc… que n’y avons nous pensé plus tôt. Le secteur de l’informatique et du numérique est illustratif des excès et dérives d’un système économico-industriel. Ce système ne regarde jamais (ou presque) en arrière, mais il va toujours de l’avant, à n’importe quel prix, pensant qu’une technologie différente va résoudre le problème de l’actuelle (cf l’exemple des batteries). Les nuages gris qui assombrissent le ciel du numérique éducatif sont à l’origine de ce changement de discours. Mais cela peut-il se traduire par des transformations effectives des politiques d’équipement de numérique éducatif (matériel ou logiciel). Va-t-on conserver plus longtemps les matériels informatiques ? Va-t-on voir les développeurs chercher à améliorer les performances de leurs logiciels sans obliger à des changements matériels ? Va-t-on voir les décideurs engager un bras de fer avec les fournisseurs pour « ralentir » ce rythme infernal.
Ce qui impressionne au cours des dernières années, c’est la facilité avec laquelle ce modèle s’est diffusé dans la société. Associant toutes sortes de facilitations de la vie quotidienne, les concepteurs de solutions numériques ont réussi à imposer une sorte d’addiction sociale au numérique. Le monde scolaire a été mis en défaut au début des années 2000 du fait de son hésitation à prendre le problème en face (cf l’échec du B2i) et son absence de prise de conscience pourtant effectuée au niveau du ministère, mais qui n’a pas su être relayé dans le quotidien. Les inspecteurs généraux Bérard et Bardi avaient pourtant posé les fondations. Le lobby informatique, en se transformant en numérique, a réussi (en 2018) à imposer son modèle qui depuis est remis en cause ou tout au moins minoré : l’appel à la sobriété numérique en est le témoin, le signal. On ne peut pas dire que les États Généraux du Numérique pas plus que la charte de ce mois de juillet aillent réellement dans le sens de l’action devenue indispensable.

Si l’on en revient au premier point de notre propos, force est de constater que le numérique n’est pas combattu par une approche dite sobre, il est juste modéré. De fait, la numérique est là, mais on comprend clairement que le monde informatique n’entend pas laisser de côté ses acquis, mais simplement s’adapter au contexte actuel. Pour le dire autrement, la sobriété c’est un simple ajustement et pas une remise à plat fondamentale….

A suivre et à débattre
BD

Du nouveau dans le numérique éducatif, ailleurs… et ici aussi ?

Un reportage de la Radio Télévision Suisse Romande a été proposé le 11 aout dernier, alors que le Canton de Neuchâtel reprenait la classe. On y présente le nouvel enseignement intitulé « Éducation numérique ». On peut écouter ce podcast : https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/neuchatel-introduit-des-cours-d-education-au-numerique-des-la-rentree-scolaire-25844362.html, ou consulter cette vidéo https://www.rts.ch/info/regions/neuchatel/13300094-leducation-numerique-au-coeur-de-la-rentree-scolaire-a-neuchatel.html.

Mais pour aller plus loin à propos de ce canton de 19586 élèves qui s’est bien réveillé pour le numérique on peut consulter cette page : https://www.ne.ch/medias/Pages/20220811_rentr%C3%A9e2022.aspx mais aussi lire la page 13 du document : https://www.ne.ch/medias/Documents/22/08/CP_rentr%C3%A9e_2022-23_dossier%20presse_def.pdf qui précise les contours de cet enseignement.
Cet enseignement évite de diviser et propose donc une approche triple : science informatique, usages et médias. Cette approche qui semble être « intégrée et systémique ». Le projet peut se résumer ainsi : « Concrètement, il s’agit de lier l’usage des écrans à des principes de prévention spécifiques aux cycles scolaires (âge des enfants), d’encadrer clairement et d’accompagner les activités connectées proposées, mais aussi de guider les élèves dans une réflexion approfondie sur les enjeux sociétaux, politiques, économiques et environnementaux de l’usage du numérique. »

Dans le même temps, France Info rapporte un article d’un journal chinois à propos des « stylos connectés » : https://www.francetvinfo.fr/societe/education/numerique-a-l-ecole/chine-des-stylos-connectes-distribues-en-classe-pour-espionner-les-eleves_5305291.html#xtor=CS2-765. Le développement des moyens de tracer l’activité individuelle s’invite donc dans la salle de classe, dans la main de l’élève. Bien sûr, ce bref article méritera d’être approfondi de façon à ne pas laisser le fantasme remplacer la réalité. Toutefois, cette idée de tracer individuellement l’activité de l’élève n’est pas nouvelle et renvoie à la question du suivi individualisé de l’apprenant.

En rapprochant ces deux informations, on peut mieux comprendre les différences de conception de la place du numérique pour l’éducation et en particulier l’enseignement. En 2018, le ministère de l’Éducation française annonce lui un enseignement de l’informatique pour tous les élèves en classe de seconde et plus généralement le développement de la connaissance du code (un langage) informatique et de sa mise en oeuvre. L’existence du PIX d’une part (successeur du B2i rebaptisé par le ministre CRCN…) et la crise informationnelle apparue en 2020 amènent en 2022 les responsables à annoncer des initiatives dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information via un vadémécum mis en ligne (accompagné d’une circulaire du 29 01 2022). D’un côté une vision éducative qui tente d’articuler les trois dimensions, usages informatiques, information et une vision éducative qui tend à environner l’école de moyens de « suivi individualisé et automatique des élèves ».

L’idée de surveillance des élèves via les moyens numériques n’est pas nouvelle. Si les Chinois proposent de nouveaux outils, des produits logiciels de surveillance des postes de travail élèves existent depuis longtemps, en particulier dans les salles informatiques. Désormais ces logiciels de « surveillance » concernent tous les appareils numériques. La question qui est posée ici concerne le suivi individualisé et les raisons qui amènent à le mettre en oeuvre. Le recueil de données de toutes sortes (les fameuses « data ») est devenu de plus en plus courant et l’éducation n’y échappe pas. Regarder l’activité de l’élève par-dessus son épaule (de manière numérique et sans être vu parfois) et enregistrer son activité (pour en faire un traitement plus ou moins automatique ensuite) sont deux évolutions qui peuvent inquiéter. L’objectivation de l’activité de l’élève qui apprend est une source qui intéresse les chercheurs qui veulent comprendre comme l’élève effectue son travail. Mais cette source intéresse aussi les politiques et les acteurs qui veulent « mieux » évaluer les élèves et leur travail, en en ayant une vue plus précise. Et, rappelons le, trop souvent, sommeille en chacun de nous une envie de savoir ce qui se passe dans la tête de ces enfants dont nous avons la charge.

Deux axes d’évolution qui ne se rencontrent a priori pas, mais qui posent la question de la « vision » éducative fondamentale. L’enfant que l’on accompagne dans son entrée dans le monde peut-il le faire en toute liberté, faut-il le surveiller, que faut-il lui proposer ? Car les choix du canton de Neuchâtel en Suisse méritent qu’on s’interroge sur la vision sous-jacente. Dans celle-ci il y a bien une sorte de méfiance, de crainte (allusion aux seuils d’utilisation des écrans proposés par S Tisseron). Mais il y a aussi, ce que chacun semble admettre désormais, le fait numérique inéluctable et à propos duquel on ne peut revenir, en particulier sur un plan économique. Dans le même temps, et c’est trop souvent ce qui manque dans la réflexion (éthique et politique), la question du faire société de demain dans un contexte largement numérisé mais aussi plus largement en crise en particulier sur les plans sanitaires et climatiques. L’analyse sur l’évolution climatique proposée dans cet article proposé par Anne Sophie Novel (https://www.lemonde.fr/blog/alternatives/2022/08/04/valerie-paumier-a-la-course-contre-le-rechauffement-climatique-les-remontees-mecaniques-sont-encore-gagnantes/) apporte, sur le plan méthodologique, un cadre de réflexion qui pourrait très bien se transposer à propos du numérique. En effet, devant le sentiment d’évidence que chacun d’entre nous ressent à propos du numérique, sommes-nous encore en capacité d’envisager un « autre monde » et d’interroger nos manières de faire société?

Pourra-t-on continuer longtemps à tenir un double discours : celui qui prône le développement du numérique et celui qui propose une forme de sobriété numérique ? Si nous sommes nombreux à être fascinés par ces technologies qui facilitent la vie, sommes-nous en capacité d’y faire face et surtout de les maîtriser aux multiples niveaux impliqués ? Les choix d’un enseignement qui articule les trois pôles du questionnement actuel, est-il préférable à celui qui les décompose (comme cela se passe en France). En 2000, le pari de la transversalité a été fait, cela a été un échec. En 2018, c’est un choix différent, principalement autour de l’informatique. Il s’est avéré très insuffisant pour répondre aux besoins de la société, la crise sanitaire l’a démontré. Maintenant que nous pouvons prendre un peu de recul, il faut qu’un cap plus clair soit proposé et élaboré avec les premiers concernés…. ceux qui demain vivront avec.

A suivre et à débattre
BD

Entre l’éthique et la charte, différences d’approches !

Nous avons récemment parlé de la « Charte pour l’éducation à la culture et à la citoyenneté numériques » présentée par la Direction du Numérique Educatif (DNE)le 9 juillet dernier au Lab 110 (https://brunodevauchelle.org/?p=3463). Récemment nous avons aussi parlé d’éthique de l’enseignement autour de la question numérique, toujours sur notre blog : https://brunodevauchelle.org/?p=3459.

Entre cette charte et les réflexions sur l’éthique, les deux se sont rejoints grâce à nos amis Québécois. En effet à l’automne dernier la décision a été prise de remplacer le programme d’études « Éthique et Culture Religieuse » par un programme d’étude intitulé « Culture et citoyenneté Québécoise ». Étonnant parallèle entre ces deux démarches… qui n’en sont pas au même point d’avancée et surtout qui n’utilisent pas les même méthodes (le gouvernement Québécois un document méthodologique précis – lien ci-dessous). En tout cas le résultat côté québécois mérite qu’on aille y voir de plus près. A commencer par simplement le fait que le numérique n’y est pas considéré à part, comme cela l’est dans la démarche du MEN français (ce que avons déploré dans notre article de présentation de la charte). Comme on le constate, au Québec, la citoyenneté numérique n’est pas indépendante d’un ensemble plus global qui concerne la culture et la citoyenneté. Trois finalités sont présentées :

  • « Préparer à l’exercice de la citoyenneté québécoise;
  • Viser la reconnaissance de soi et de l’autre;
  • Poursuivre le bien commun. ».

Une lecture plus avancée du document met en évidence le fait que, pour les auteurs de ce programme d’études, le numérique en est une composante comme la technologie plus largement. On peut lire ainsi :  » Les contenus proposés dans le programme Culture et Citoyenneté Québécoise : Le contenu de formation intègre dans une thématisation générale les thèmes soumis à la consultation publique de 2020 (participation citoyenne et démocratie, éducation juridique, écocitoyenneté, éducation à la sexualité, développement de soi et des relations interpersonnelles et citoyenneté numérique). Des savoirs relatifs aux compétences, au dialogue et à la pensée critique sont également intégrés au contenu de formation. »

L’écart entre l’approche québécoise et l’approche française est important et porteur de sens. Certes nous ne disposons pas de documents d’approfondissement du document français, mais le simple fait qu’il s’appelle charte et non pas programme d’études, d’une part et que, d’autre part il ne soit pas présenté comme mise à l’essai à l’instar du Québec montre bien que la culture du pilotage institutionnel n’est pas vraiment la même de chaque côté de l’océan.

La place du vivre ensemble qui fondait l’ancien programme se retrouve dans la présentation du nouveau programme québécois. Du côté Français on semble plutôt axés sur le droit, l’émancipation, la vigilance, ce qui met en évidence la dimension normative qu’un pilotage descendant renforce. Quant à la notion de culture religieuse (qui figurait dans le titre de l’ancien programme d’études) elle est désormais considérée comme une composante de la culture plus largement et fait donc partie de ce qui constitue la diversité et la richesse d’un peuple, porté dans « un État de droit laïc et démocratique ainsi qu’un cadre juridique qui inscrit les principes d’égalité et de respect de la dignité humaine dans la Charte des droits et libertés de la personne. »

Les Québécois sont donc très avancés dans cette réflexion et surtout dans l’opérationnalisation. Cela s’appuie sur leur histoire de l’enseignement et des programmes. Du côté français, les « valeurs de la république » semblent si pesantes, l’attachement y est si grand et symbolique qu’il freinerait presque toute évolution possible de la réflexion sur la culture, sur la citoyenneté. Cela commence par le fait qu’en France on situe le numérique « en dehors », comme un en-soi alors qu’il ne s’agit que d’une composante de notre « faire société ». Peut-être des évolutions sont-elles à envisager ici, dans les temps à venir ? En tout cas, pour l’instant, et les réactions le confirment (https://louisderrac.com/2022/08/01/remarques-et-reactions-a-la-charte-pour-leducation-a-la-culture-et-a-la-citoyennete-numeriques/) , la fameuse « charte » est bien loin de répondre aux besoins des acteurs de l’éducation, de l’enseignement.

A ce propos il existe une formation qui peut intéresser un large public :

A ce propos, ceux qui veulent travailler et approfondir cette question pourront se tourner vers Lyon car L’Université Catholique de Lyon (UCLy) propose un diplôme universitaire autour de l’éthique des sciences et des technologies.
https://www.ucly.fr/formations/les-formations-de-lucly/toutes-nos-formations/diplome-universitaire-dethique-des-sciences-et-des-technologies-duest/#science. La responsable de cette formation, que j’ai connue lorsque je travaillais à l’UCLY (2012 – 2018), m’a proposé de faire connaître ce DU qui pourrait intéresser celles et ceux que ces articles ont intéressé, en particulier dans le monde enseignant.

Des liens pour préciser le propos  et approfondir :

A la place de Éthique et Culture religieuse en 2021 les intentions : https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/culture-et-citoyennete-quebecoise-remplacera-lancien-programme-ethique-et-culture-religieuse-35604

« Le programme d’études Éthique et culture religieuse (ECR) vise à développer la réflexion de l’élève sur le vivre-ensemble. » http://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/references/refonte-programme-ethique-culture-religieuse/

Deux programmes proposés et mis en expérimentation en 2022 2023 au Québec : http://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/references/refonte-programme-ethique-culture-religieuse/programme-detudes-culture-et-citoyennete-quebecoise/
Secondaire : http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/CCQ_ProgrammeProvisoire_Secondaire.pdf
Primaire : http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/CCQ_ProgrammeProvisoire_Primaire.pdf

Le processus d’élaboration de ces documents est présenté ici :
http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/Processus-elaboration-programme-culture-citoyennete.pdf

A suivre et à débattre
BD