On le sait depuis longtemps, lorsque l’esprit s’égare, le maître rappelle à l’ordre l’enfant. Et pourtant les nuages sont probablement une source d’inspiration au moins aussi riche que l’austère tableau noir sur lequel s’inscrivent chaque jour les prescriptions pour apprendre. Laissez-vous le loisir de passer un moment à contempler les nuages. On y devine des formes qui donnent à l’imagination de quoi circuler pendant des heures et des jours. Le tableau noir a blanchi, il s’est numérisé, il s’est interactivé et pourtant… pourtant, il n’ouvre toujours pas autant à l’imagination que les nuages… Peut-être même qu’il pourrait produire l’effet inverse en « scotchant » l’attention des élèves sur « l’écran » qu’est devenu le tableau. L’école deviendrait alors une salle de cinéma pour apprendre, avec ses sièges en rang d’oignons… On éteindrait la lumière de l’extérieur, afin de ne pas laisse s’échapper l’esprit dans les nuages. Tout enseignant rêve un jour d’un auditoire captivé pendant toute la durée de son enseignement, tel l’artiste sur scène…
Mais l’esprit s’égare toujours… devant la feuille, devant le tableau, devant l’écran, le droit au nuage reste inattaquable, parce qu’aussi insaisissable… Si vous regardez un jeune, mais aussi un adulte devant l’écran de son ordinateur, vous verrez que parfois le nuage arrive aussi sur l’écran… Les savants parleront peut-être sérendipité, d’autres de dispersion cognitive…. Engagé dans un travail qui suppose de l’attention dans la durée, il n’est pas rare de se retrouver devant une page web qui n’a rien à voir avec le travail engagé. On s’en aperçoit souvent après… quand on prend conscience de la déconnexion mentale… Et pourtant ces « respirations cognitives » sont bien sûr indispensables à chacun de nous. Le vieux rêve de l’enseignant ne s’est même pas réalisé avec les écrans des ordinateurs.
On l’observe aisément, l’attention longue suppose des procédés de maintien de l’attention savamment travaillés. Les bandes dessinées sont une belle illustration de ce procédé avec le jeu de la dernière vignette en bas à droite de la page dont le déséquilibre vous invite, vous impose presque le tourne page pour « retomber sur ses pieds ». Plus généralement l’ordre d’un récit, d’un roman utilise lui aussi ces ficelles de l’attention longue. L’engouement de certains pour le storytelling ne doit pas faire oublier le livre de Jérôme Bruner « pourquoi racontons-nous des histoires? » qui nous rappelle que « raconter des histoires, c’est jeter un pont entre ce qui est établi et ce qui est possible ». Et les jeux vidéos sont arrivés pour enrichir la panoplie des « capteurs de tête ». Mais en même temps qu’ils captent l’attention les jeux vidéo emmènent aussi dans les nuages… Mais parfois ils font « perdre la tête » quelques instants, avant qua réalité ne revienne prendre le dessus.
Le jeu vidéo semble faire de plus en plus d’adeptes, même chez les plus grands… est-ce à dire que l’on a besoin d’avoir la tête dans les nuages ??? Il est probable que l’esprit ait besoin de ces temps de distraction pour pouvoir survivre dans des contextes de pression attentionnelle forts. En face des jeux vidéo, et en particulier pour les jeunes, il y a la scolarité et son cortège de sollicitations de toutes sortes, parfois bien ennuyeuses. L’écart entre les mondes semble se creuser. Où passent donc la curiosité, l’imagination, l’envie de découvrir des enfants ? Le monde scolaire semble en être l’éteignoir, incapable qu’il est de le réveiller ne serait-ce que quelques instants, sauf pour quelques exceptions, trop rares au gré de la majorité des élèves.
L’enjeu est de taille. Lorsque les membres de la communauté scolaire ne comprennent pas pourquoi les jeunes se désintéressent de leurs proposition, ils ont tendance a déclarer que ces jeunes ne font rien de bon dans ces nuages et surtout qu’il n’y apprennent rien. Rien de bien ? Rien de ce qui peut servir à l’école ? Rien de ce que les adultes éducateurs estiment bon pour l’avenir adulte des jeunes. A voir le nombre de jeunes adultes qui jouent aux jeux vidéo on peut s’interroger : faut-il les laisser faire ? Ou faut-il mieux les envoyer vers le jeu de la vie/travail ? Ou plus étonnamment faut-il les envoyer vers les jeux de hasard qui permettent parfois de gagner une fortune en grattant ? A voir le nombre de personnes qui ont choisi la dernière option, on se rend compte que le monde des adultes est prompt à enterrer curiosité, imagination, envie de découvrir… Alors s’ensuit ce que l’on observe et qui fait l’objet de commentaires de plus en plus nombreux : l’ennui à l’école. Pas l’ennui face à l’apprentissage, mais l’ennui face à l’apprentissage scolaire. Et ^pourtant ils sont bien capables d’apprendre des choses dans ces nuages !!!
Le développement des pratiques personnelles du numérique ne fait que commencer à ouvrir des horizons nouveaux. Certes ils changent vite de forme et un outil chasse vite l’autre, mais c’est bien normal, du fait même des logiques techniques et commerciales sous jacentes à ces objets. L’attrait de la nouveauté est une vertu chez les jeunes et le plus souvent une crainte chez les plus vieux….Il est probable que la peur qu’ont nombre d’enseignants devant cette évolution soit de cet ordre. Non seulement il y a nouveauté technique, mais il y a aussi nouveauté culturelle. Chacun des adultes se sent probablement impuissant devant cette évolution, et pourtant chacun a bien une petite part de responsabilité. L’ordinateur aurait du au début formater les esprits comme il le faisait des disquettes. Avec internet la diabolisation suivie de la mise en place des contrôles est bien une action d’adultes… avant d’être une prise de conscience des jeunes.
Offrez du potentiel de rêve, les jeunes vont s’y engouffrer. Avoir la tête dans les nuages risque d’être bientôt une formule obsolète. Voilà que le nuage est colonisé par le numérique. Au delà de la boutade, se présente un vrai problème d’imaginaire : quand j’enregistre dans mon ordinateur un document, je me fais une représentation physique de son existence. Avec le Cloud, cette représentation va demander bien plus d’imagination pour se construire. Il est possible que lorsque l’on dira qu’un jeune à la « tête dans les nuages » ce ne soit plus pour indiquer qu’il rêve, mais plutôt, comme le dit Michel Serres, qu’il a perdu la mémoire ou plutôt qu’il l’a externalisée…. Dès lors s’ouvre de nouveaux horizons qui peuvent être moins heureux que le philosophe ne l’espère… Mais qui se cache donc dans le Cloud, le rêve ou la réalité… de demain ?
A débattre
BD
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