Dans cet article publié par le Monde (Vie privée : le point de vue des « petits con ») et repris d’Internet actu, l’auteur tente de nous expliquer que la notion de vie privée n’a pas court chez les enfants occidentaux car ils n’ont pas d’espace privé à la maison (« Votre enfant a peut-être sa propre chambre dotée d’une porte qui ferme à clef, et de son propre ordinateur. Mais il n’a pas d’espace privé. » citation issue de Danah Boyd semble-t-il mais l’article est confus sur ses sources) et que donc globalement les jeunes ne font qu’appliquer ce que leurs parents et grand parents auraient conquis dans le passé. (PS un problème avec wordpress m’empêche d’insérer des liens dans le texte pour l’instant, j’y travaille)
L’idée selon laquelle la vie privée est la vie individuelle est une erreur. la vie privée c’est la vie du cercle relationnel avec lequel je vis : c’est celui-ci qui est plus ou moins étanche ou poreux, selon les cas. Observons les comportements des jeunes sur Internet : que ce soit avec les premiers « chat » publics dans lesquels ils finissaient par n’utiliser que les salons privés, jusqu’au moment où ils ont préféré aller sur les messageries instantanées qui permettent de gérer son cercle de relation, les jeunes ont bien une idée de la vie privée et elle est proche de celle de leurs parents. La différence majeure tient dans la manière dont vie ce cercle privé : sa constitution, son développement et ses changements. Si ma génération (j’ai 55 ans cette année) ou celle de feux mes parents, constituait un cercle de vie privé, il était lié fortement à des cadres qui lui étaient extérieurs : religion social, etc… La grande nouveauté c’est la possibilité d’accéder au métissage culturel si bien mis en évidence par Dominique Pasquier dans son ouvrage sur la vie lycéenne (Autrement).
Aujourd’hui mon cercle relationnel, celui qui définit le périmètre de ce que j’appelle la vie privée, est constitué lui aussi d’une manière davantage liée aux trajectoires individuelles qu’aux cadres moraux et socio-économique dans lesquels chacun vit (même s’il ne sont pas absents). L’augmentation du nombre de familles éclatées, recomposées ou non, les rythmes de travail et de vie dans la société hyperurbaine, la possibilité d’entrer en contact au delà des lieux physiques auxquels j’ai accès (mon quartier, les déplacements en famille, mon lieu de scolarisation, mon travail) par l’intermédiaire des moyens numériques, l’intrusion de l’autre dans la sphère privée (la télévision et le présentateur du JT de 20 heures qui vous parle pendant que vous mangez …) sont autant d’indicateurs de ce changement. La particularité de la société qui émerge en ce début de siècle est de renvoyer chaque personne à son initiative au delà des cercles auxquels elle accède physiquement. Certes il est possible de baser sa vie privée uniquement sur les cercles anciens, d’ailleurs le monde rural (regardez l’extraordinaire film de Raymond Depardon : la vie moderne, ou encore le film Être et avoir de Nicolas Philibert) le donne parfois encore à voir.
Ainsi nous voilà responsabilisés d’une nouvelle manière dans la gestion de notre vie privée. Encore faut-il ne pas tomber dans l’excés ou la dérive éducative. Reprenons l’idée selon laquelle l’enfant n’a pas d’espace privé à la maison. Tout d’abord cela constitue une réalité très occidentale et réservée aux pays et aux personnes les plus riches de ces sociétés que d’avoir une chambre à soi. L’idéologie, qui semble fortement marques par la culture nord-américaine, (mais là je reste prudent… il se dit tant de choses sur les US) de l’individu sacré n’est ni une réalité sociale largement partagée ni un modèle ultime qu’il faudrait promouvoir à tout prix, mais bien une « idée ». Si vie privée est égal à espace privé physique et contrôlé par l’individu seulement, alors on s’aperçoit que les jeunes n’ont pas attendu les clefs pour se le constituer. En effet bien souvent, entre journal intime (extime parfois dirait S. Tisseron) et petits secrets avec les copains, tout montre que les jeunes ont toujours su construire, dans nos sociétés occidentales qui valorisent l’individualisme, des espaces privés. Une très bonne vidéo dont j’ai perdu la référence montrait un groupe de jeunes d’une dizaine d’années dont les parents voulaient suivre cet espace privé qu’ils se constituaient en dehors de leur présence en les dotant d’un téléphone portable qui donnait leur localisation en temps réel. Dans cette vidéo on voit les enfants héler une voiture sur la route et au moment où l’un deux interroge le conducteur par la fenêtre un autre jette son téléphone portable mouchard sur la banquette arrière à l’insu du chauffeur. Ainsi les parents ne savent plus où ils sont et on les voir déguerpir à toutes jambes en criant vive la liberté. En fait c’est bien une idée de parents que de vouloir tout contrôler chez leurs enfants !!! C’est bien une logique de développement de jeune que de s’affranchir de ce contrôle en acquérant le droit à la construction d’espace privé indépendant des parents. Ce n’est que la marque normale de l’adolescence dirait Michel Fize, et cela se passe bien dans les familles
L’obsession du conflit générationnel qui transparait dans les débats sur les TIC, amplifié par les querelles suite aux publications contestées de Marc Prensky, doit être remis à sa place. Le changement est normal d’une génération à l’autre pour plusieurs raisons : d’une part ce qu’un trentenaire à construit pour ses enfants il n’en voit les effets que quand il a cinquante ans voire davantage. Il est probable qu’il n’imaginait pas au départ ce que tout cela allait devenir, le jour où il le découvre, s’il est naïf et peu observateur, alors il pense à une crise générationnelle; de plus naître avec un environnement technico-social différent de ses parents ne peut que produire des effets de différence plus ou moins importants selon le dialogue qui s’instaure entre eux (parents et enfants). Enfin le numérique dans toute sa complexité agit comme un révélateur (souvenir des salles obscures dans lesquelles on développait les photos en noir et blanc à la maison, au moment où dans le bain révélateur, l’image apparaît…) de ce qui est, mais en le déformant du fait même de la nature de cette technologie qui elle est bien en train de changer l’organisation sociale et cela depuis près de 50 ans maintenant (revenons par exemple à l’informatisation des jeux olympiques pour se rendre compte tous les quatre années de l’évolution de cette place).
Faut-il assimiler vie privée à vie individuelle ? Pour moi la réponse est non. Par contre la vie privée s’oppose à la vie publique en cela qu’elle est choisie et non pas imposée et que les frontières en sont définies potentiellement par l’auteur. Dans de nombreuses sociétés la notion de vie privée pourrait s’envisager de manière différente sur le plan spatial, mais sur la démarche et la notion, c’est bien la même chose : la vie privée est d’abord marquée par le cercle que je peux constituer et dont je peux définir les contours, en interaction permanente avec l’environnement. Dans le cas de la chambre de l’enfant, il suffit de voir ce que donne cette manière de faire proposée plus haut (espace fermé) pour se rendre compte qu’elle assimile vie privée à la limitation des interactions verbales et non verbales avec le cercle proche et que cette limitation va à l’encontre de toute possibilité d’éducation, basée justement sur les interactions humaines. De plus cette idée d’enfermement m’amènerait à cette chute en forme de provocation : et si seules prisons (non connectées bien sûr) pouvaient encore garantir la vie privée ?
A débattre
BD
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