Au moment où le Tour de France est sur le devant de la scène, il faut s’interroger sur la dimension éducative des turpitudes qui le traversent. Sport basé sur la concurrence individuelle, attirant désormais d’importantes sommes d’argent, le cyclisme est à l’image de notre société. L’attrait de gains importants, la mise en compétition des personnes semblent aujourd’hui montrer leurs limites. Que penser de ceux là qui désormais ne peuvent que « tricher » ou « mentir » pour parvenir à leurs fins ?
Loin de moi l’idée de fustiger tous ces coureurs qui, tombés dans le panneau, sont aujourd’hui les seuls mis en accusation. Que penser du public qui sur le bord de la route, confortablement installé au pied du camping car après un pique-nique arrosé se permet de traiter de mauviette, de minable de nul, celui qui peine à l’arrière de la course ? Que penser des commentateurs qui ne donnent à voir que ceux qui arrivent les premiers (même s’ils veulent donner l’impression de s’en défendre)? Le cyclisme est un sport populaire dans le premier sens du terme. Il vient d’une pratique sociale peu couteuse et très partagée en particulier dans les populations ayant peu de moyens (nos grands parents ouvriers les utilisaient à l’époque où la voiture était l’exception). Se tire des bourres entre copain en allant au travail ou le dimache après midi pour s’amuser est la base de ce sport. Malheureusement, il est désormais atteint par un mal qu’ont introduit les nantis pour calmer l’esprit des peuples.
Ce mal c’est celui de l’appat du gain facile, de la reconnaissance, de la notoriété. Que ne ferait-on pas maintenant pour avoir tout cela et dans toutes les couches de la société ? Mais à quel prix. Ce sont les plus humbles qui paient en ce moment dans les pelotons.
Que dire de cette assistance d’université qui avaient triché à près de la moitié de ses examens pour atteindre son statut, que dire de ce patron prèt à tout pour décrocher un marché, que dire de ce fonctionnaire qui ne s’embarassant pas de son employeur, arrondi ses fins de mois avec des ménages qui peuvent lui prendre autant de temps que son travail lui-même (cf la loi qui l’autorise en février 2006) ?
Ce qui est désolant dans toute cette agitation c’est que cela révèle la faiblesse de l’humain. Cette faiblesse survient quand l’éducation s’effondre. Piston, triche, mensonge, contournement des règles etc… sont les traductions concrètes de ces faiblesses. L’enseignant a beau jeu d’enseigner la morale, la dignité, le respect devant tous ces spectacles de faiblesse. Il est nettement plus facile de fustiger le coureur cycliste que l’organisateur de spectacle, le gladiateur plutôt que l’empereur. Michel Serres dans une de ses chroniques à France Info parlait de l’esclavage des sportifs qu’il rapprochait de celui des prostituées (à l’occasion de la coupe du monde en Allemagne). Regardons dans le football le marché des transferts et constatons, outre les sommes incroyables mises en jeu, l’amoralité de ces pratiques. Mis en cause lui même à propos du système scolaire et de sa capacité à en contourner les méfaits, l’enseignant n’échappe pas à cette critique et n’est pas un pur. Lui aussi aurait recours à cette forme de dopage appelé piston ou autre….
Sommes nous tous des tricheurs ? Je crains qu’au fond de nous il veille ! A la moindre occasion il nous rappelle à son bon souvenir. Enfant, au catéchisme on nous expliquait qu’il y avait derrière nous un diable et un ange. L’un nous disait de faire le mal, l’autre de faire le bien. Il n’y avait plus qu’à choisir (non à faire comme on nous le disait au nom de notre croyance) celui était indiqué. Désormais il n’y a plus de cadre, chacun de nous doit être responsable de son choix. lus de raison de se cacher. Malheureusement le combat pour la survie n’est pas égal. Les plus démunis assistent au spectacle de la richesse qui s’empresse de les fustiger dès lors qu’ils trichent. Alors qu’elle la richesse, est bien loin d’être aussi pure qu’elle veut bien le dire. Golden parachute, argent gaspillé etc… sont le lot courant de cette richesse qui devrait bien commencer par retrouver un sens moral avant de pousser des cris dès qu’un malheureux coureur n’a fait que tenter d’arriver à leur « niveau »….
Quand enfin on se tourne vers l’école on peut aussi se poser quelques questions : quand on donne des notes, des classements, n’est-on pas dans la même façon de voir ? Quel effet a sur l’élève une place de premier de second, de dernier, au dessus ou en dessous de la moyenne ? Quand on observe le « marché » de la réussite scolaire on comprend aisément que les pratiques de « dopage » ne sont pas loin. Celui qui veut réussir à tout prix est prêt à faire « n’importe quoi » pour y arriver. Comment lutter contre cette faiblesse humaine ? en regardant d’un autre oeil les progrès de chacun. Si l’on met la priorité sur la progression de chacun plutôt que sur les seuls résultats des meilleurs il est possible que les choses évoluent. Mais pour y parvenir, il faut changer de mode d’évaluation. Non pas être moins exigeant, comme certains aiment à le dire dans une sorte de mauvaise caricature, mais au contraire avoir des exigences pour tous en fonction de ses potentialités. L’approche par compétence va dans ce sens. Il ne s’agit pas ici de parler sommairement de cette notion, mais bien d’en utiliser ce que les chercheurs ont depuis plus de vingt cinq années développé et observé : La pertinence pour désigner ce que quelque qui apprend à acquis et non pas simplement où il se situe par rapport aux autres.
A débattre bien sur
BD
5 Commentaires
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Cette réflexion est intéressante, cependant il me semble que la compétition, la concurrence, la note…. s’appellent aussi "la loi du plus fort" et qu’elle fait partie des lois naturelles observables dans la nature où seuls les plus forts ont une chance de survivre. Cet instinct de survie profondément ancré (il me semble)dans nos codes génétiques, fait que tout individu a besoin d’exister par rapport aux autres, et le plus souvent au travers d’un rapport de force inter individus que je qualifierais volontiers de basique. La morale est du côté du culturel : de là à dire que notre société, notre civilisation même n’a pas dépassé le stade du basique, malgré quelques millénaires d’existence…Ce que je veux dire c’est que le constat fait ici est certes consternant mais tout à fait logique et finalement n’en a t-on pas besoin, dans une sorte de vieux réflexe archaique ? chassez le naturel…
D’accord avec vous jusqu’au point suivant : « chassez le naturel », alors on devient humain et on dépasse notre condition initiale. Comme le disait quelqu’un dont je ne me rapppelle plus le nom (mais je vais chercher) : « certes nous sommes des animaux, mais pas des bêtes… » Eduquer c’est justement apprendre que nous pouvons neutraliser notre naturel pour construire ce qui est l’essence de l’humain : le culturel Bruno Devauchelle
Bien sûr et je dirai heureusement (!), mais jusqu’où l’humain peut accepter son éducabilité ? Les tentations du "naturel" (la facilité …) et tout ce qui confère la sécurité (satisfaction de besoins de base) ne sont- elles pas plus puissantes par moments que les grands principes moraux qui fondent les civilisations et qui sont aussi parfois contraignants? (a priori il paraît plus simple pour un coureur cycliste de grimper un col de montagne avec de l’EPO ou autre que sans…!). Je crois, hélas !, que certains humains sont restés au stade primitif de la satisfaction de besoins de base (c’est un constat) et que la société de consommation/compétition l’entretient bien ou le révèle ou les deux ? au choix… Comment expliquer à des coureurs cyclistes qu’ils vont devoir se faire très mal pour y arriver alors que des produits existent qui vont les aider ? Il faut une sacrée dose de valeurs pour résister à mon avis… Et je pourrais transposer cette analyse chez des élèves …(je ne suis pas sûre, pardon d’avance, que l’essence de l’humain soit le culturel…et si la nature de l’homme était précisément d’être faible ? ou alors peut on éduquer "autrement" , en mettant en valeur les potentialités de chacun, dans une société de compétitions où règne la loi du plus fort ?
EVincent
Effectivement, la culture n’est pas l’essence de l’humain, du fait même qu’elle est un construit contre la nature, j’ai été un peu rapide dans mon propos. Pour éduquer « autrement », il faut proposer d’autres lois que celle du plus fort. L’état de « pré-maturité » est l’une des caractéristiques principales de l’humain en devenir (nous naissons tous prématurés). Il semble qu’en matière de loi du plus fort ce soit aussi le cas et qu’il semble impossible de lutter contre. La victoire de la pensée libérale semble montrer cela. Mais derrière ce libéralisme peut se construire un cadre, du moins souhaitons le, qui évite la barbarie. Je crois qu’une des priorités de l’éducation aujourd’hui est la compréhension de ces mécanismes humains et de leurs effets. La loi du plus fort n’est pas aussi simple qu’il y parait, de nombreux exemples le montrent. Une autre priorité est le travail sur l’éthique (considérée comme la capacité de l’homme à se construire un cadre explicite et assumé pour son action). Il me semble qu’aujourd’hui il est important que l’on travaille davantage sur l’individu que sur le collectif. Les idéologies qui mettent en avant le collectif ont été tentées de nier la personne en en faisant une individu, en le réifiant. Celle qui mettent en avant l’individu proposeraient d’en faire une bête. Une des pistes est de travailler dans la direction d’une dialectique personne/bien commun qui permettrait à chacun de choisir. Ces propos peuvent paraître utopiques, mais ils se veulent simplement une réflexion à débattre. B Devauchelle
Le travail sur l’éthique est certes primordial mais ce qui l’est tout autant c’est son corollaire : la vertu ; l’éthique, à mon sens, ne peut exister vraiment si les décideurs, les dirigeants, les enseignants, les parents et d’une façon générale tous ceux qui exercent une autorité, ne montrent pas l’exemple : un cadre est nécessaire encore faut-il le respecter et montrer qu’on a envie de le respecter ; je pense qu’aujourd’hui la société (l’école, la justice…) souffre du manque de foi dans ses propres règles (pourquoi ?). "Avoir la foi" je ne tiens pas de propos religieux mais ce "mystère de la foi" me semble convenir aussi dans toutes les actions que l’humain peut mener et a fortiori dans les règles qu’il se fixe. De même à l’école le prof doit croire en les potententialités de ses élèves pour que ceux-ci y croient à leur tour…un parent doit croire en son enfant pour lui insuffler la confiance en soi etc…J’ai parfois l’impression de vivre dans une société sans foi, pas en un dieu (bien que ce pourrait être le cas) mais tout simplement en l’avenir ou en des valeurs qui nous dépassent et cimentent une société. D’où les dérives évoquées vers les comportements agressifs, la loi du plus fort et le repli individualiste voire communautariste. Cette idée d’une dialectique personne/bien commun me paraît tout à fait intéressante parce que raisonnablement on ne peut extraire l’individu du collectif dans lequel il s’inscrit et le collectif doit se nourrir d’individus exemplaires et vertueux ; mais peut-être que moi aussi je glisse dans l’utopie…?